LE MAGAZINE DES DÉCIDEURS & DES RÉSEAUX DE BOURGOGNE-FRANCHE-COMTÉ

Inspirer la génération E

Créateur de L’Audace d’Entreprendre, Jean-Philippe Girard, fondateur d’Eurogerm, défend une vision exigeante et généreuse de l’entrepreneuriat. Pour lui, la réussite se mesure moins au capital financier qu’au capital humain, à la confiance et à la capacité de transmettre. À travers le festival, dont il organise la seconde édition le 9 décembre 2025, au Zénith de Dijon, il veut fédérer une nouvelle génération responsable et inspirée d’« entrepreneur-es à impact » – comme il l’écrit dans ses notes. Rencontre.

Décideur. Vous avez l’habitude de dire que vous avez eu trois vies. Dans quelle mesure L’Audace d’Entreprendre en est un prolongement naturel ?

Jean-Philippe Girard. Je vois ma vie en trois grandes boucles : jusqu’à 30 ans, la montagne, le sport de haut niveau, le ski avec un rêve d’enfant, celui de participer aux jeux olympiques ; de 30 à 60 ans, Eurogerm, que j’ai créée à partir de rien et développée partout dans le monde ; et, depuis mes 60 ans, une troisième boucle s’ouvre vers ce que j’appelle le « give back ». L’Audace d’Entreprendre s’inscrit exactement là : révéler, réveiller, transmettre, redonner ce que j’ai reçu, inspirer une nouvelle génération, celle que j’aime appeler la « Génération E », comme entrepreneurs et entrepreneuses. Je ne veux pas seulement raconter mon parcours, je veux qu’il serve de déclencheur voire de catalyseur.

Vous parlez aujourd’hui d’« entrepreneur à impact ». Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

Je n’ai jamais été vraiment convaincu par le concept d’« entreprise à mission » tel qu’on le présente parfois. En revanche, je crois à l’entrepreneur à impact, à l’entreprise à impact. Chacune, chacun doit se demander : quel est mon impact ? Mon impact économique, sur l’apprentissage et sur l’emploi ; mon impact écologique et environnemental ; mon impact sur l’épanouissement de mes équipes ; mon impact sur l’impôt et sur sa bonne utilisation, nationale comme territoriale ; enfin, mon impact social et sociétal, en matière de sécurité, de bien-être, d’épanouissement, d’écoute, d’engagement et de juste récompense.

Vous évoquez l’impact, mais vous parlez souvent aussi de « responsabilité ». Comment la définissez-vous aujourd’hui, pour un dirigeant ?

Photo : Jonas Jacquel

La responsabilité, c’est le socle. Être entrepreneur, ce n’est pas seulement créer de la valeur ou signer des contrats. C’est comprendre que chaque décision engage des femmes et des hommes, un territoire, parfois une filière entière. Quand j’étais à la tête d’Eurogerm, je n’ai jamais oublié que derrière les chiffres, il y avait des familles, des parcours de vie. La responsabilité, c’est aussi dire la vérité : sur la situation d’une entreprise, sur un marché, sur les contraintes environnementales. C’est assumer ses choix, même quand ils sont difficiles, et ne jamais se cacher derrière le contexte. Un dirigeant doit être exemplaire dans ses engagements, cohérent dans ses actes, et attentif à celles et ceux qui l’entourent. Et surtout, il ne doit jamais perdre de vue que le premier capital d’une entreprise, c’est le capital humain.

Vous insistez beaucoup sur la récompense. Pourquoi est-ce un point aussi important pour vous ?

Nous n’avons peut-être pas assez récompensé les équipes sur les résultats de l’entreprise. Cela a toujours été ma préoccupation. Je plaide depuis des années pour un doublement de la participation et de l’intéressement. Verser 10 à 15 % du résultat aux salariés ne me choque pas et ne m’a jamais choqué. Une entreprise en croissance et rentable permet des investissements, des recrutements, des carrières. Mais elle doit aussi partager le fruit de l’effort. Le résultat d’une entreprise n’appartient pas à une personne, il appartient à une équipe. Si on oublie cela, on creuse un fossé social et sociétal et cela peut faire beaucoup de dégâts.

L’événement de L’Audace d’Entreprendre veut justement inspirer une nouvelle génération d’entrepreneurs. À qui vous adressez-vous en priorité ?

À deux publics. D’abord, les jeunes de 10 à 25 ans, pour révéler l’envie d’entreprendre. Avec des partenaires comme Germes d’entrepreneurs, Entreprendre pour Apprendre, 100 000 Entrepreneurs ou les Entrep’s, les initiatives sont nombreuses et formidables. On entre dans les classes de CM2 et de 6e et on crée une entreprise en trois heures. On révèle ainsi des vocations, des talents chez des enfants issus de familles souvent modestes qui ne savaient pas que c’était possible. Les mots qu’ils écrivent après chaque atelier sont bluffants et me touchent énormément. L’Audace d’Entreprendre s’adresse ensuite à ceux qui ont déjà envie d’entreprendre mais doutent. Aux plus de 25 ans, nous voulons montrer qu’entreprendre est possible et les aider à vivre leur rêve, à tester leurs idées, et à réveiller l’envie de créer ou de reprendre une entreprise.

LE PREMIER CAPITAL D’UNE ENTREPRISE, C’EST LE CAPITAL HUMAIN.

Jean-Philippe Girard

Concrètement, à quoi va ressembler la journée de L’Audace d’Entreprendre, au Zénith ?

Photo : Jonas Jacquel

La journée s’adresse d’abord à la jeunesse. Le Zénith devient un grand terrain de jeu ludique mais sérieux, avec des ateliers, des conférences, un format « Qui aura l’audace de s’associer ? », des podcasts, des rencontres avec des réseaux d’accompagnement, des financiers, des entrepreneurs. L’idée n’est pas de tout faire à la place des jeunes, mais de leur offrir une large palette d’activités, de réflexions, d’actions, et d’ouvrir avec eux le champ des possibles. Le soir, place à celles et ceux qui n’ont pas pu venir la journée : les entrepreneurs en exercice, de tout métier et de toute structure. Je veux leur dédier cette soirée et les transformer en mentors, en partenaires et en acteurs du territoire. Qu’ils acceptent d’accompagner un jeune, de financer une journée en classe, de prendre un alternant. Être plus généreux, plus présent aux côtés de la nouvelle génération, voilà ce que j’aimerais souffler à mes amis entrepreneurs.

Vous insistez sur le rôle du collectif. Que représente ce collectif de L’Audace d’Entreprendre, aujourd’hui ?

On rassemble autour de l’initiative un peu plus de 50 réseaux d’accompagnement et autant de partenaires financiers. Ce sont des femmes et des hommes qui se lèvent chaque matin pour aider et accompagner des porteurs de projet, des créateurs, des repreneurs. Au départ, je craignais que certains nous voient comme un concurrent. En réalité, ils se rencontrent, se découvrent, se passent des dossiers. C’est gagné. J’aime l’idée de « catalyseur » : nous ne remplaçons personne, nous créons de l’énergie, des synergies, nous recréons du lien entre les tisseurs de lien eux-mêmes, qui travaillent parfois de façon un peu isolée. Ils sont vraiment formidables et tellement engagés. Nos futurs jeunes entrepreneurs et entrepreneuses ont de la chance de les avoir.

Jean-Philippe Girard, dans ses bureaux
Photo : Jonas Jacquel

JE NE VEUX PAS SEULEMENT RACONTER MON PARCOURS, JE VEUX QU’IL SERVE DE DÉCLENCHEUR VOIRE DE CATALYSEUR.

Jean-Philippe Girard

L’ambition dépasse désormais Dijon. Comment imaginez-vous la suite ?

Nous préparons l’arrivée de délégations de plusieurs régions au Zénith, avec l’idée de dupliquer l’esprit de L’Audace d’Entreprendre partout en France. Mais je ne veux pas simplement un « grand-messe » dans une capitale régionale. Mon rêve, c’est d’insuffler cette énergie aux territoires : des mini-événements à Gray, à Auxonne, à Joigny ou ailleurs, avec l’école du coin, quelques entrepreneurs locaux, des réseaux d’accompagnement… L’Audace d’Entreprendre doit vivre toute l’année, partout, pas seulement dans les grandes villes et une fois par an.

L’Audace d’Entreprendre n’est pas une parenthèse, c’est un point de départ. Si chacun – jeunes, dirigeants, réseaux, institutions – se l’approprie, alors l’impact économique, écologique, social et sociétal deviendra la norme plutôt que l’exception. L’audace, c’est agir, c’est ce pas en avant vers les autres ; c’est la conviction qu’ensemble, avec détermination on peut écrire et façonner un avenir pour tous.

Vous parlez souvent de confiance, mais aussi d’exigence. Comment concilier les deux quand on accompagne des projets ?

Créer, reprendre une entreprise va engager, au minimum, 5 à 10 ans de votre vie, de la vie de celles et ceux qui vont se lancer. Cela va changer les nuits, les week-ends et les vacances. On n’a donc pas le droit de faire et d’accepter n’importe quoi. Une bonne idée ne fait pas forcément une entreprise et un bon pitch ne fait pas automatiquement un bon dirigeant. Je préfère une exigence forte à l’entrée plutôt que de créer des entrepreneurs et entrepreneuses sous perfusion. Oui, exigeant, parce même si l’on croise de beaux projets, je refuse d’envoyer des jeunes dans le mur. Confiant, parce qu’on se rappelle que, pour nous aussi, un jour, une banque ou un partenaire nous a dit « j’y crois et je vais vous accompagner ».

Si vous deviez résumer en une phrase le message de cette troisième boucle de vie et de L’Audace d’Entreprendre ?

Après l’audace sportive et l’audace entrepreneuriale, je dirais que la troisième boucle se caractérise par l’audace de révéler et de réveiller l’envie d’entreprendre en France. Je suis fier d’accompagner la Génération E dans la recherche d’un meilleur impact économique, écologique, social et sociétal.

Texte : Alban Salmon / Photographie : Jonas Jacquel

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