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Eric Seutet : conflits d’associés dans les sociétés civiles : comment s’en sortir ?

Les difficultés économiques constituent un facteur accru des tensions entre associés. Dans les sociétés civiles, l’importance des qualités personnelles des associés est primordiale. On choisit généralement de s’associer dans ce type de structure davantage pour les qualités – réelles ou supposées – de ses partenaires que pour leur capacité à apporter un soutien financier, contrairement aux sociétés de capitaux. Or, les prétendues qualités d’un associé peuvent évoluer dans le temps et, après une certaine durée de cohabitation, ces qualités peuvent parfois se transformer en véritable cauchemar. Présentes dans divers domaines, comme les professions libérales réglementées, les sociétés civiles sont particulièrement répandues dans le cadre des Sociétés Civiles Immobilières (SCI). Cet article se penche sur les conflits qui peuvent y survenir et propose quelques pistes pour les résoudre.

C’est l’objet social de votre société civile immobilière qui détermine le pouvoir réel du gérant, qui ne peut diriger la société civile que dans le cadre de son objet social. Si l’objet social de la SCI est défini par l’achat et la location d’un bien immobilier, le gérant ne pourra pas le vendre, car la vente n’est pas prévue dans l’objet social. En revanche, si l’objet social est plus large (achat, location, vente de tous biens immobiliers), les marges de manœuvre du gérant s’élargissent également, sous réserve de respecter l’intérêt social. Par exemple, vendre un bien à un prix dérisoire ou consentir un bail trop avantageux pourrait engager sa responsabilité envers les associés.

Contrairement aux sociétés de capitaux qui ne prévoient pas de porte de sortie en cas de conflit d’associés, le législateur a prévu une « ouverture » pour les sociétés civiles, conformément à l’article 1869 du code civil qui stipule : « Un associé peut sortir totalement ou partiellement de la société, dans les conditions prévues par les statuts ou, à défaut, après autorisation donnée par une décision unanime des autres associés. Ce retrait peut également être autorisé pour justes motifs par une décision de justice ».

Dès lors, un associé peut se retirer de la société et demander le rachat de ses parts. Ce sont les statuts qui déterminent la majorité permettant aux associés de voter pour autoriser ce retrait. Mais attention, si les statuts ne prévoient rien, la loi s’applique et, dans ce cas, seule une décision unanime des associés peut autoriser ce retrait. Il faut savoir que les associés sont totalement libres d’accepter ou non ce retrait car ce sont justement les associés restants qui vont devoir financer le départ de l’associé sortant. La société civile immobilière devra emprunter pour racheter les parts de l’associé sortant. Une fois annulées, ces parts sont réparties entre les associés restants, augmentant leur responsabilité proportionnelle vis-à-vis des dettes de la SCI. Ce mécanisme explique pourquoi de nombreux statuts imposent des majorités élevées pour autoriser un départ anticipé, rendant le retrait d’un associé compliqué sans recours judiciaire.

Comment s’en sortir ?

L’alinéa 2 de l’article 1869 du Code civil y apporte une réponse : le retrait peut être ordonné pour justes motifs par une décision judiciaire. Ainsi a-t-il été jugé que l’impossibilité pour un associé minoritaire d’une SCI de tirer un revenu de sa participation, l’existence d’un désaccord marqué avec ses associés, comme la gestion d’un titre social, constituent un juste motif autorisant le retrait. De même, l’absence de ressource d’un associé d’une SCI, qui ne tire aucun avantage de se maintenir en son sein, a également été jugée par la Cour d’Appel de Paris comme constituant un juste motif. La privation du droit de vote d’un associé, l’absence d’information à l’égard de ce dernier par exemple, l’absence d’entente entre les associés à la suite du décès de l’ancien gérant, constituent aussi une perte de l’affectio societatis qui peut conduire à constituer un juste motif de retrait, de la même façon qu’un divorce.

Les conséquences du retrait :

Conformément à l’article 1843-4 du Code civil, l’associé retrayant a droit au remboursement de la valeur de ses parts sociales. En cas de désaccord, un expert judiciaire est désigné. Tant que l’associé n’est pas remboursé de la valeur de ses parts sociales, il conserve l’intégralité de ses droits d’associé. Il prend part au vote, notamment sur la répartition des dividendes. Toutefois, la procédure judiciaire peut être longue et l’expertise délicate. C’est la raison pour laquelle il faut anticiper.

Dans la rédaction des statuts, il est tout à fait possible de déterminer ce qu’il advient des parts d’un associé lorsque celui-ci, par exemple, décède. Ses héritiers sont-ils agréés de plein droit ou doivent-ils demander l’agrément aux autres associés, au risque de se voir opposer un refus et de se voir imposer le rachat de leurs parts.

Le choix du libellé de l’objet social de la SCI est également crucial : doit-il être large ou restreint ? Il est possible d’anticiper les conditions qui pourraient justifier un retrait judiciaire, comme la perte des qualités morales ou professionnelles d’un associé, l’exercice d’une activité concurrente, l’absence de distribution régulière de bénéfices ou encore un divorce entre associés. De même, est-il possible de prévoir de quelle manière l’expert (1843-4 du code civil) va évaluer la société. Tous ces éléments peuvent être anticipés à condition de consulter un professionnel du droit pour préparer ces statuts. Les statuts, ce n’est ni plus ni moins qu’un contrat entre les associés qui s’impose à eux, mais encore faut-il qu’il soit complet et qu’il anticipe toutes les difficultés futures faute de quoi, le recours aux tribunaux s’avèrera indispensable ! En somme, prévenir pour mieux guérir de vos conflits d’associés…

Seutet & Avocats
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Texte : Eric Seutet / Photographie : DR

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