Quand on lui demande, en guise de préambule : « Plutôt Bourgogne ou Bordeaux ? », John Barker se contente d’esquisser un sourire. Sa fonction exige une forme de diplomatie, après tout. Premier directeur général de l’OIV issu de l’hémisphère sud, ce juriste néo zélandais souhaite incarner une organisation plus collective et collaborative. Entretien.
Décideur. Pour nous, Bourguignons-Franc-Comtois, le choix du nouveau siège de l’OIV à l’Hôtel Bouchu d’Esterno de Dijon est tout un symbole. Que représente cette ville et cette région pour vous ?
John Barker. Je pense que c’est formidable pour l’OIV d’avoir son nouveau siège à Dijon, car nous sommes dans une ville très accueillante et dans un bâtiment magnifique, l’Hôtel Bouchu d’Esterno. Nous sommes également au cœur des vignobles de Bourgogne, mondialement connus, qui sont un parfait exemple de l’importance du terroir et de sa compréhension. De nombreux travaux sur le développement durable sont menés ici, donc l’ensemble de cet environnement nous parle beaucoup. Je tiens à remercier la métropole, la ville de Dijon et son maire, François Rebsamen, pour leur soutien à l’OIV. Ils ont accompli un travail immense pour revitaliser ce patrimoine viticole. Personnellement, je suis aussi attaché à cette région, ayant passé plusieurs mois à Dijon il y a 20 ans en tant que chercheur. Je dois dire que je suis impressionné par les transformations réalisées ici. Dijon est encore plus belle.
Nous venons de visiter vos nouveaux locaux, votre nouveau bureau. Que pensez-vous de l’Hôtel Bouchu d’Esterno?
Comme vous avez pu le constater, c’est un bâtiment magnifique. Sa restauration est symbolique de la restructuration du secteur du vin. Il a une histoire incroyable. J’ai hâte de m’y installer.
Lors de votre prise de fonction en tant que directeur général de l’OIV le 9 juin 2023, vous avez déclaré : « Le centenaire de l’OIV constitue une opportunité de célébrer un siècle d’accomplissements ». Qu’attendez-vous de cette grande célébration de la vigne et du vin ?
Il y aura plusieurs volets à cette célébration. Nous aurons d’abord la première conférence ministérielle organisée par la France, avec les ministres de l’agriculture des pays membres. C’est important pour nous car cela renforcera la visibilité de l’OIV, de Dijon et du secteur vitivinicole. Ensuite, il y aura un congrès scientifique très important, où des experts et des représentants des 50 pays membres de l’OIV se réuniront pour partager leurs connaissances. C’est l’une de nos priorités.
Quelles seront vos autres priorités durant votre mandat ?
Il s’agit avant tout de s’assurer que nous avons la bonne position pour affronter l’avenir. Notre secteur est très dynamique, et nous devons être prêts à relever les défis qui se présentent à nous. Parmi ces priorités figurent évidemment le changement climatique et le développement durable, qui jouent un rôle majeur, ainsi que les questions sociétales liées au vin. L’un de mes plus grands souhaits est de créer une OIV plus collégiale.
Fin 2023, nous apprenions le décès de Pau Roca, votre prédécesseur. Que vous a-t-il transmis ?
Il est essentiel de reconnaître l’œuvre de Pau. Il s’est beaucoup impliqué dans le choix de Dijon pour abriter le siège. Pau était un grand innovateur, et c’est un honneur de lui succéder. Il a beaucoup fait pour moderniser notre organisation. La Ville de Dijon va d’ailleurs lui rendre hommage en créant un clos à son nom. Ce clos sera situé rue de la Croix des Valendons, à l’angle de la rue René Cassin, l’un des fondateurs de l’Europe et des Nations Unies, et de la rue Henri Dunant, le fondateur de la Croix-Rouge. C’est donc un lieu déjà fortement marqué par l’international.
« Pau Roca était un grand innovateur, et c’est un honneur de lui succéder ».
John Barker, Directeur Général de l’OIV.
Vous êtes le premier directeur issu de l’hémisphère sud, un signal important pour l’organisation. Qu’est-ce que cela va changer selon vous ?
Peu de choses dans l’immédiat. Le changement s’opère plutôt au long cours. Cette ouverture du secteur vitivinicole au monde entier en est une preuve. Ce que je peux apporter à l’organisation, et ce sur quoi je souhaite vraiment me concentrer, c’est l’idée que, nous avons toujours beaucoup d’intérêts communs, où que nous nous trouvions dans le monde. Et l’OIV doit être le lieu où nous nous réunissons autour de ces intérêts partagés.
Surtout que vous vous apprêtez à accueillir un nouveau pays membre, la Chine…
Nous avons hâte d’accueillir la Chine dans cette grande famille du vin qu’est l’OIV. C’est un pays majeur dans le secteur, car nous couvrons tous les produits de la vigne et pas seulement le vin. La Chine est le premier producteur de raisins et la troisième surface viticole au monde.
« Nous avons hâte d’accueillir la Chine dans cette grande famille du vin qui est l’OIV » John Barker, Directeur Général de l’OIV.
Et les États-Unis dans tout ça ?
Les États-Unis ont quitté l’OIV en 2001. Nous aimerions évidemment qu’ils redeviennent membres de notre Organisation. Bien évidemment, cela dépend du gouvernement américain. Je vais essayer de leur parler et de les encourager à regarder différemment notre organisation et ce que nous faisons. Tous les pays producteurs ont un grand intérêt à en faire partie, surtout maintenant que nous faisons face au changement climatique, une menace que personne ne peut affronter seul. J’espère qu’un jour nous pourrons collaborer sur ce sujet.
On appelle l’OIV « l’ONU du vin ». Êtes-vous d’accord avec cette analogie ?
Il est important de savoir que nous sommes une organisation intergouvernementale, ce qui est inhabituel, car nous nous concentrons exclusivement sur un secteur. Nos membres sont les gouvernements des pays membres et nous reflétons leurs intérêts. La comparaison avec l’ONU transmet cette idée importante.
« Si vis pacem, para vinum » (Si tu veux la paix, prépare le vin). En plus d’être le titre du livre de Laure Gasparotto, cette citation nous rappelle à quel point le vin est un acteur important de la diplomatie. Ce congrès sera l’occasion de la venue des délégations ukrainiennes et russes. Pensez-vous avoir un rôle à jouer dans la paix mondiale ?
Dans la paix mondiale, non, car nous sommes avant tout une organisation scientifique et technique. Nous ne sommes pas un espace politique. Cependant, le vin est un produit social qui favorise la sociabilité et une certaine forme de diplomatie. Je pense que la paix mondiale relève de l’ONU, mais malheureusement pas de l’OIV.
Tourné vers l’avenir, vous souhaitez un nouveau plan stratégique pour l’OIV. Le changement climatique est l’un des grands enjeux de ce siècle. Comment l’OIV compte-t-elle répondre à ce défi ?
L’OIV a établi tout un ensemble de recommandations pour guider la filière dans la mise en place de pratiques visant à limiter leur impact environnemental, y compris des méthodologies de calcul des émissions de gaz à effet de serre. Nous devons tirer parti de notre capacité à rassembler de nombreux pays pour partager nos connaissances et lutter contre le changement climatique. Nous devons fixer des objectifs clairs. Je suis convaincu que seule la coopération entre les pays permettra de trouver des solutions acceptées par tous. C’est précisément l’objectif du 45e congrès scientifique de l’OIV, qui se tient à Dijon au 14 au 18 octobre.
Qui dit 50 pays membres de l’OIV, dit aussi plusieurs dizaines qui n’en font pas partie… Boire du vin n’est pas la norme partout pour des raisons culturelles, cultuelles, idéologiques… Quel est votre souhait en matière d’intégration de ces pays ?
L’organisation couvre tous les produits de la vigne comme, par exemple, les raisins, les raisins secs, les jus de fruits… Nous ne nous concentrons pas uniquement sur les boissons alcoolisées. La Turquie, qui est un grand producteur de raisins secs, est par exemple l’un de nos membres. Nous accueillons vraiment tous les pays intéressés par ce secteur.
« L’un de mes plus grands souhaits est de créer une OIV plus collégiale » John Barker, Directeur Général de l’OIV.
Vous souhaitez progressivement élargir l’organisation à de nouveaux membres. À qui pensez-vous ?
Je pense bien sûr aux pays nord-américains, mais aussi à l’Asie et à l’Afrique… D’une manière générale, à toutes les parties du monde où l’OIV n’est pas représentée. Mais vous avez raison de souligner qu’il y a des enjeux culturels qui compliquent certaines adhésions.
Une dernière question plus anecdotique : avez-vous des coups de cœur pour certains vins bourguignons ?
J’en ai tellement(rires)! Avec mes fonctions, il est très difficile d’en préférer un plus qu’un autre. J’ai goûté un Montrachet il y a quelques mois qui était tout simplement incroyable. J’aime aussi découvrir les petits villages qui prennent de l’importance comme Marsannay. Je n’oublie pas non plus Chablis, c’est un autre de mes coups de cœur.